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"Un tourisme de masse en croissance ne sera jamais durable" selon TimothĂ©e Parrique 🔑

Interview de Timothée Parrique, chercheur et économiste


Grand absent de la Cop 27, le tourisme continue de cristalliser les critiques, en raison de son impact environnemental et de son laxisme à faire pivoter son économie vers plus de sobriété. De plus en plus de voix s'élÚvent afin de faire passer le message d'une activité contrainte, dans les années à venir. Timothée Parrique, économiste et auteur du livre "Ralentir ou périr : L'économie de la décroissance", nous explique pourquoi, selon lui, la décroissance n'est plus une option...


Rédigé par le Jeudi 22 Décembre 2022

TourMaG - Vous prĂŽnez la dĂ©croissance de l'Ă©conomie mais avant de rentrer dans le vif du sujet, quel regard, portez-vous sur l'activitĂ© touristique consistant Ă  faire voyager des gens Ă  l’étranger et souvent
 loin ?

TimothĂ©e Parrique :Le tourisme reprĂ©sente 8 % des Ă©missions globales, c’est Ă©norme !

C’est aussi un secteur avec de grandes inĂ©galitĂ©s : seulement quelques pour cents des personnes Ă  l’échelle de la planĂšte prennent l’avion, avec des Ă©missions fortement concentrĂ©es sur les personnes les plus riches, qui prennent plusieurs fois par an l’avion.

Le tourisme fast and far est le privilĂšge d’une poignĂ©e de super-riches qui dilapident un budget carbone global que l’on devrait partager de maniĂšre Ă©quitable, avec la plus grande partie accordĂ©e aux pays les plus pauvres qui en auront besoin pour se dĂ©velopper.

Dans quelques dĂ©cennies, on considĂšrera sĂ»rement la publicitĂ© incitant Ă  ce genre d’activitĂ© aussi moralement rĂ©prĂ©hensible (si ce n’est plus) que celles pour l’alcool et la cigarette.


"La dĂ©croissance est une rĂ©duction de la production pour allĂ©ger l’empreinte Ă©cologique"

TourMaG - Vous ĂȘtes un Ă©conomiste, mais d’un nouveau genre puisque vous prĂŽnez la dĂ©croissance, dans la lignĂ©e de Meadows. Vous faites donc partie de la caste des Amish selon Emmanuel Macron. En quoi, ĂȘtre un amish en 2023 et dans la prochaine dĂ©cennie est-ce important pour le monde ?

Timothée Parrique :
Ceux qui assimilent la dĂ©croissance aux Amish, ne connaissent ni l’une ni l’autre.

La dĂ©croissance est une rĂ©duction de la production et de la consommation pour allĂ©ger l’empreinte Ă©cologique planifiĂ©e dĂ©mocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-ĂȘtre.

Dans la situation qui est la nĂŽtre - un effondrement environnemental qui vient mettre Ă  mal l’habitabilitĂ© de notre planĂšte - la dĂ©croissance est une stratĂ©gie d’adaptation incontournable pour les Ă©conomies des pays riches qui n’arriveront pas Ă  temps ni mĂȘme Ă  verdir leurs niveaux de production et de consommation.


TourMaG - L’Europe pourrait connaĂźtre une croissance de 0,5% en 2023. La rĂ©cession touchera alors les plus importants pays de l’Union. Finalement le monde de l’aprĂšs-Covid, est-il celui pour lequel vous militez ?

Timothée Parrique :
La rĂ©cession est l’accident d’une Ă©conomie de croissance qui n’arrive plus Ă  croĂźtre.

C’est l’amputation dans la douleur et la prĂ©cipitation.

La dĂ©croissance est plus proche d’un rĂ©gime organisĂ© : un ralentissement de certaines productions et de certaines consommations dans l’esprit de la justice sociale et dans le souci du bien-ĂȘtre, c’est-Ă -dire planifiĂ©es d’une maniĂšre aussi Ă©quitable et conviviale que possible.

"Fini les pubs stupides qui réduisent notre notion de voyage aux cocotiers polynésiens"

TourMaG - Qu’est-ce qu’implique la dĂ©croissance dans notre conception du voyage et du monde actuel ?

Timothée Parrique :
D’abord : moins de kilomùtres et moins de kilomùtres par heure.

Nous devons voyager moins loin et plus lentement. Je pense à des concepts comme le « slow travel » qui prÎne une expérience du voyage non seulement plus responsable écologiquement, mais aussi plus riche socialement. Fini les pubs stupides qui réduisent notre notion de voyage aux cocotiers polynésiens.

Ça me rappelle la campagne de communication « le dĂ©paysement prĂšs de chez vous » qui vantait l’eau turquoise des Caraibzh bretons !

Contre l’expĂ©rience du blockbuster amĂ©ricain regardĂ© dans l’avion pour aller dans une chaĂźne d’hĂŽtel all-inclusive, privilĂ©gions les trains de nuit et les hĂŽtels coopĂ©ratifs.

Marcel Proust écrivait que « le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ».

Passons d’une philosophie du voyage obnubilĂ©e par l’amassement de photos de paysage, un tourisme de la quantitĂ©, Ă  un tourisme de la qualitĂ©, selon les principes de la sobriĂ©tĂ© heureuse.

TourMaG - La décroissance signifie-t-elle la fin du capitalisme ?

Timothée Parrique :
Oui. Le capitalisme est un système où la production est organisée de manière spécifique afin de maximiser la plus-value monétaire, la fameuse accumulation du capital, sur la base de la propriété privée des moyens de production et du salariat.

C’est donc un système qui ne peut pas décroître sans gĂ©nĂ©rer des crises.

Si l’on veut sortir de la croissance, il faudra donc nécessairement sortir du capitalisme, c’est-Ă -dire réduire l’importance sociale des institutions qui le composent : le salariat, les marchandises et les marchés, la propriété privée des moyens de production, et l’entreprise à but lucratif.

"Un tourisme de masse en croissance ne sera jamais durable"

TourMaG - Dans votre livre, vous dites : « Entre produire plus, et polluer moins, il va falloir choisir. Choix facile car une économie peut tout à fait prospérer sans croissance, à condition de repenser complÚtement son organisation. » Que faut-il repenser en premier ?

Timothée Parrique :
La façon dont on mesure la richesse.

Aujourd’hui on s’obstine Ă  amasser des points de Produit IntĂ©rieur Brut (PIB) alors que cet indicateur fait abstraction des choses les plus essentielles, Ă  commencer par la nature.

Orienter une transition sociale et Ă©cologique en fonction du PIB serait aussi absurde que d’évaluer une sĂ©ance de yoga avec un podomĂštre. DĂ©barrassons-nous de ce logiciel obsolĂšte pour repenser l’économie Ă  partir de l’écologique et du social, et non le contraire.


TourMaG - En quoi la croissance verte qui nous est vendue par le Gouvernement et l’Europe est-elle une utopie ?

Timothée Parrique :
Parce qu’aucune expĂ©rience historique, en France et ailleurs, n’a rĂ©ussi Ă  montrer qu’il serait possible de dĂ©coupler la croissance Ă©conomique de toutes les pressions qu’elle a sur la nature.

La croissance verte est une hypothÚse toute droite sortie de modÚles économiques simplistes, basés sur des observations parcellaires.

En l’état actuel des connaissances, c’est un pari extrĂȘmement risquĂ© pour faire face Ă  une problĂ©matique Ă©cologique aussi dangereuse, urgente, et incertaine.


TourMaG - Est-ce que tourisme et durable sont compatibles ? Le tourisme implique toujours le déplacement ?

Timothée Parrique :
La soutenabilité est une question de proportion. Un tourisme de masse en croissance ne sera jamais durable, car il finira toujours par dépasser les capacités de charge (limitées) des écosystÚmes.

MĂȘme logique d’ailleurs pour la croissance de toute autre activitĂ© Ă©conomique.

Comme disait l’économiste amĂ©ricain Kenneth Boulding : pas de croissance infinie dans un monde fini ! Il faut repenser un tourisme plus lent, un tourisme de proximitĂ©, et un accĂšs au tourisme beaucoup plus Ă©quitable qu’aujourd’hui, oĂč seuls les plus riches peuvent voyager.

"Il faut inventer des futurs dĂ©sirables au-delĂ  d’un capitalisme obsĂ©dĂ© par les profits"

TourMaG - L’Europe vient de mettre en place des quotas carbone dans l’aĂ©rien. Les compagnies vont devoir payer pour continuer de polluer et auront des remises si elles utilisent des carburants non-polluants. Ne faut-il pas mettre en place une double comptabilitĂ© dans l’économie dont une verte qui sanctionnera les Ă©conomies des pollueurs ?

Timothée Parrique :
Oui, il faudrait.

Et attention, la comptabilité « verte » ne devrait pas se faire en parallÚle à la comptabilité classique.

Il faudrait plutĂŽt rĂ©encastrer le financier dans l’écologique. Quel que soit la lucrativitĂ© d’une activitĂ© de production, celle-ci ne devrait pas pouvoir ĂȘtre entreprise si elle se fait en dĂ©passement d’un certain budget Ă©cologique.

L’écologie dĂ©limite la possibilitĂ© du social, qui dĂ©limite la possibilitĂ© de l’économique – et pas le contraire. L’argent est une construction sociale ; les Ă©cosystĂšmes, non.


TourMaG - Pour aller vers une sociĂ©tĂ© plus sobre, ne devons-nous pas revoir par l’écriture de nos imaginaires ? Et combien de temps durera cette transition d’un capitalisme effrĂ©nĂ© Ă  la dĂ©croissance ?

Timothée Parrique :
Oui, il faudrait Ă  la fois « sortir de la croissance » (Éloi Laurent), se dĂ©barrasser de la « mystique de la croissance » (Dominique MĂ©da), « dĂ©coloniser l’imaginaire de la croissance » (Serge Latouche).

Il faut se dĂ©barrasser d’un paquet de prĂȘt-Ă -penser Ă©conomiques qui sont devenus des obstacles imaginaires : la nĂ©cessitĂ© d’une croissance constante du PIB, le dĂ©couplage, l’égoĂŻsme de la nature humaine, la lucrativitĂ© comme raison d’ĂȘtre de l’entreprise, etc..

DeuxiĂšme Ă©tape : il faut inventer des futurs dĂ©sirables au-delĂ  de l’extractivisme de notre Ă©conomie linĂ©aire, du productivisme aveugle d’un capitalisme obsĂ©dĂ© par les profits, d’une sociĂ©tĂ© omnimarchandisĂ©e oĂč pouvoir d’achat devient pouvoir tout court. Nous avons besoin d’éduquer notre dĂ©sir pour des alternatives au capitalisme d’aujourd’hui.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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Commentaires

1.Posté par Richard Vainopoulos le 22/12/2022 09:04 | Alerter
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Boire un verre ou boire une bouteille? fumer une cigarette ou fumer un paquet? On est toujours dans l'extrĂȘme avec ces soi-disants chercheurs... si c'en est un, ce dont je doute! Je ne savais pas que les Ă©tudes pour devenir Ă©conomiste Ă©tait de dĂ©construire. Autant offrir des legos montĂ©s pour que les enfants apprennent de suite comment les casser. Quel intĂ©rĂȘt d'interroger des ultra gauches qui se disent chercheur et Ă©conomiste et qui cherchent ce genre de tribune pour manipuler les masses? Comme quoi, il n'y a pas que le tourisme qui a un problĂšme de masse! MĂȘme les sumos en ont un, c'est dire....

2.Posté par Martino180 le 22/12/2022 09:10 | Alerter
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Interessant !!!!

"La dĂ©croissance est plus proche d’un rĂ©gime organisĂ© : un ralentissement de certaines productions et de certaines consommations dans l’esprit de la justice sociale et dans le souci du bien-ĂȘtre, c’est-Ă -dire planifiĂ©es d’une maniĂšre aussi Ă©quitable et conviviale que possible."

Ca a déjà été fait et ça s'appelle le communisme !! Expérience qui a trÚs bien marché en URSS (lol).

Toutes les idées évoquées parTimothée Parrique sont "théoriquement" possible mais elles omettent le paramÚtre humain qui lui n'est pas paramétrable et imposerait donc la mise en place d'une dictature pour pouvoir les appliquer.

Enfin, Timothée Parrique oublie d'interdire les téléphones portables et ordinateurs qui émettent de plus en plus de Co2 par l'intermédiaire des Data Centers... mais ça il n'en veut pas parce que sinon personne ne serait au courant de ce qu'il raconte et personne n'achÚterait ses livres !!!

3.Posté par Martino180 le 22/12/2022 09:15 | Alerter
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Quand je parle de dictature, je parle bien sûr de dictature type Corée du Nord, sinon, il y aurait trop de laisser aller pour permettre une vraie politique telle que décrite par Timothée Parrique.

4.Posté par Fred le 22/12/2022 10:05 | Alerter
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Qui est ce monsieur ? Les journalistes adorent donner de l'écho à ceux qui sont les plus radicaux et qui ne représentent qu'eux...

5.Posté par Pat44 le 22/12/2022 10:20 | Alerter
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Hypocrise quand tu nous tiens : alcool et cigarettes sont dangereux c'est entendu MAIS toujours en vente légalement.
Le tourisme malgré les critiques a encore de beaux jours.

6.Posté par capitaliste le 22/12/2022 10:28 | Alerter
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s'ils respectent leurs discours et leurs idées ces talibans de l'écologie ne se reproduiront pas pour préserver la planÚte et c'est donc leur espÚce qui finira par s'éteindre.

7.Posté par Patrick VICERIAT le 22/12/2022 12:37 | Alerter
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Bonjour
Je trouve ces propos Ă  la fois ridicules et dĂ©placĂ©s. Le tourisme fait vivre des territoires, gĂ©nĂšre de la valeur, crĂ©e des emplois (1 million d'emplois), et participe Ă  la protection de l'environnement. ConsidĂ©rer le tourisme uniquement comme un facteur de nuisance est tout Ă  fait malhonnĂȘte et rĂ©ducteur.
Patrick VICERIAT
Président de l'AFEST

8.Posté par Lodenet Daniel / EKITOUR le 22/12/2022 14:18 | Alerter
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Bonjour Ă  toutes et tous,
Les propos de ThimotĂ© Parrique ont l'intĂ©rĂȘt de participer Ă  la construction indispensable d'un tourisme compatible avec la prĂ©servation de notre planĂšte et de sa biodiversitĂ© pour nous permettre d'y ĂȘtre bien et ensemble.
Merci à Romain Pommier de créer les conditions pour alimenter cette échange necessaire et indispensable. Et quoi de mieux que les colonnes de la presse professionnelle.
A la lecture des commentateurs qui m'ont prĂ©cĂ©dĂ©, il est clair que cela va ĂȘtre difficile tellement une grande part d'entre-nous ne veut surtout pas aborder la question, trop inquiet par les changements qu'il va falloir engagĂ©.
Ce qui est sur et certain, c'est que nous ne voyagerons plus de la mĂȘme façon dans 20 ans que nous le faisons aujourd'hui et quoi de mieux que d'en dĂ©cider ensemble, au lieu de se le faire imposer par la force.

9.Posté par BUKHARI le 23/12/2022 13:05 | Alerter
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Bonjour,
Le touriste (au demeurant un terme trĂšs rĂ©ducteur) est devenu le colonisateur destructeur de la planĂšte, les glaciers des plus hauts massifs du monde fondent au Pakistan et ont provoquĂ© l'Ă©tĂ© dernier une catastrophe majeure pour ce pays 
 Mais tout le monde s’en fout car c’est le Pakistan 

Si rien n’est fait pour arrĂȘter le tourisme de masse, la planĂšte continuera Ă  subir les effets dĂ©vastateurs de la mondialisation et des pays comme le Pakistan qui n’y sont pour rien dans le rĂ©chauffement de la planĂšte, continueront Ă  en pĂątir 

Ce n’est pas d’un pass vaccinal dont le monde a besoin mais bien d’un PASS DE VOYAGE !!! Nous avons bien connu Ă  une certaine Ă©poque le carnet de change !!!
Cet article est donc percutant pour tenter d’éveiller les consciences et je suis tout Ă  fait d’accord avec Daniel Lodenet.
Tourmag, vous pouvez multiplier les articles dans ce sens.
Merci Ă  vous.


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