
"Nous trouvons ça tellement gros de tenir ce colloque (Alliance France tourisme, ndlr) avec cette table ronde seulement quelques jours après l'annonce que nous ne tiendrons pas l'accord de Paris" - Crédit photo @nastudio
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Le tourisme entre dans sa période critique.
Dès que le soleil pointe le bout de son nez un peu partout en France, les médias relancent leur campagne de déstabilisation, en parlant du surtourisme et de tous les effets néfastes de l’industrie.
Mais cela n’empêche pas l’Alliance France Tourisme de tenir un colloque au sein du Sénat pour évoquer une stratégie touristique visant à attirer toujours plus de visiteurs, principalement étrangers et à haute contribution.
L’événement s’ouvrira ce jeudi 3 juillet 2025, avec une première table ronde sur le thème : "De 100 millions de visiteurs à 100 milliards de parts de marché."
Un sujet qui a fait bondir les Acteurs du Tourisme Durable (ATD).
"Nous étions déjà assez critiques sur le totem des 100 millions de touristes, dont l'objectif a été atteint l’année passée, même si ce chiffre ne veut pas dire grand-chose. Nous pensions être débarrassés de ces quêtes et maintenant, nous nous retrouvons avec un nouveau totem : celui des 100 milliards de recettes additionnelles.
Au lieu de viser plus, nous devrions viser mieux," estime Caroline Mignon, la présidente d'Acteurs du Tourisme Durable (ATD).
"Le tourisme est seulement vu à travers le prisme d'un bilan comptable"

"Nous trouvons qu’avec ce débat, les enjeux du secteur sont vraiment vus par le petit bout de la lorgnette. C’est une vision réductrice.
Nous regardons le tourisme seulement à travers le prisme d’un bilan comptable. On ne prend en compte ni les impacts sur les habitants, ni sur l’environnement, et encore moins sur la dimension sociale de l’activité.
Au lieu d’aller chercher des clientèles aux moyens financiers importants, mais éloignées de la France, nous pourrions plutôt convertir des Français qui ne partent pas ou plus.
Certes, le panier moyen serait bien moindre, mais ils sont très nombreux," déplore la représentante d’une partie de l’industrie invisibilisée depuis quelques mois.
Rappelons que, dans le pays qui a inventé les congés payés, le taux de départs des Français stagne, voire régresse depuis quelques années, laissant craindre une "fracture sociale qui s’élargit, avec des difficultés pour partir en vacances", expliquait en 2023 Jean-Pierre Mas.
Améliorer cet indicateur de 10 points, pour le faire passer à 70%, pourrait faire croître les recettes de 20 milliards d’euros.
Même le timing de cette table ronde laisse songeur, entre les futures grandes vacances qui laisseront près de 40% de nos compatriotes chez eux, et les quinze jours écoulés depuis que des scientifiques ont affirmé que limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C est désormais impossible.
"C’est aussi pour cela que nous avons voulu réagir.
Nous trouvons ça tellement gros de tenir ce colloque avec cette table ronde seulement quelques jours après l’annonce que nous ne tiendrons pas l’accord de Paris.
Nous trouvons incroyable de voir qu’il y a autant de silos totalement hermétiques avec, d’un côté, ceux qui se soucient de la croissance économique et de l’autre, le climat.
Je ne comprends pas comment nous ne parvenons pas à relier les deux," constate la présidente d'ATD.
"C’est aussi pour cela que nous avons voulu réagir.
Nous trouvons ça tellement gros de tenir ce colloque avec cette table ronde seulement quelques jours après l’annonce que nous ne tiendrons pas l’accord de Paris.
Nous trouvons incroyable de voir qu’il y a autant de silos totalement hermétiques avec, d’un côté, ceux qui se soucient de la croissance économique et de l’autre, le climat.
Je ne comprends pas comment nous ne parvenons pas à relier les deux," constate la présidente d'ATD.
Un tourisme "en totale contradiction avec les engagements" de la France
Il faut dire que la dernière évaluation des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) de l’ADEME date de 2022... période où toutes les clientèles étrangères n’étaient pas revenues sur le Vieux Continent et avaient été remplacées par des clientèles de proximité, moins émettrices de carbone ! Et alors que nous parlons d’une industrie qui représente au minimum 11% des émissions du pays, alors qu’elle ne génère pas plus de 8% du PIB.
Pour ATD, le secteur du tourisme n’a plus le temps de débattre, il doit agir, en commençant par réduire ses émissions de 35 à 50% d’ici 2030 !
"Parler de 100 milliards de recettes ne correspond pas à l’enjeu de faire de notre pays la première destination touristique durable au monde, tel que fixé par le président de la République. Cela va à l’encontre de la stratégie nationale bas carbone.
Ce sont finalement de simples mots. Nous sommes en totale contradiction avec nos engagements.
J’imagine qu’en annonçant de telles choses, ils pensent (Alliance France Tourisme, ndlr) faire plaisir aux grands industriels du tourisme, alors que je suis persuadée que bien des entreprises ont conscience des impacts et de la vulnérabilité du secteur," poursuit Caroline Mignon.
Souvenez-vous, en 2021, Emmanuel Macron avait fixé comme objectif de devenir la 1ère destination durable d'ici 2030, alors que l’aérien représente en France 6% des arrivées pour 44% des émissions du secteur des transports, quand la voiture constitue 79% des arrivées pour 53% des émissions.
Malgré ce constat, la présidente d’ATD reconnaît que des choses ont été faites depuis l’annonce du président de la République.
Un fonds d’investissement dédié a été créé, "une très bonne initiative, et une première", permettant d’accompagner des acteurs vers un tourisme plus respectueux.
De plus, le label Destination d’Excellence a intégré un pilier environnemental. Ce n’est pas suffisant, mais c’est malgré tout une avancée dans la bonne direction.
Pour ATD, le secteur du tourisme n’a plus le temps de débattre, il doit agir, en commençant par réduire ses émissions de 35 à 50% d’ici 2030 !
"Parler de 100 milliards de recettes ne correspond pas à l’enjeu de faire de notre pays la première destination touristique durable au monde, tel que fixé par le président de la République. Cela va à l’encontre de la stratégie nationale bas carbone.
Ce sont finalement de simples mots. Nous sommes en totale contradiction avec nos engagements.
J’imagine qu’en annonçant de telles choses, ils pensent (Alliance France Tourisme, ndlr) faire plaisir aux grands industriels du tourisme, alors que je suis persuadée que bien des entreprises ont conscience des impacts et de la vulnérabilité du secteur," poursuit Caroline Mignon.
Souvenez-vous, en 2021, Emmanuel Macron avait fixé comme objectif de devenir la 1ère destination durable d'ici 2030, alors que l’aérien représente en France 6% des arrivées pour 44% des émissions du secteur des transports, quand la voiture constitue 79% des arrivées pour 53% des émissions.
Malgré ce constat, la présidente d’ATD reconnaît que des choses ont été faites depuis l’annonce du président de la République.
Un fonds d’investissement dédié a été créé, "une très bonne initiative, et une première", permettant d’accompagner des acteurs vers un tourisme plus respectueux.
De plus, le label Destination d’Excellence a intégré un pilier environnemental. Ce n’est pas suffisant, mais c’est malgré tout une avancée dans la bonne direction.
Tourisme durable : "je suis inquiète... nous sommes bloqués dans le triangle de l'inaction"
Il y a aussi eu la création de l’Observatoire du tourisme durable et de France Tourisme Durable, un outil au service des professionnels. "C’est une belle initiative, sauf que chaque région crée son propre fonds de ressources et ses autodiagnostics, donc tout est doublonné.
Le problème du secteur reste toujours le même : l’État va décider et prendre une direction, puis les régions, les départements et les ETI vont faire différemment.
Nous devrions mettre de la cohérence dans le millefeuille des compétences partagées, en redistribuant les responsabilités," conseille la présidente de l'association.
Dans ce coup de gueule, il n’est pas question d’entrer dans une ère d’obscurantisme, où chacun reste chez soi, bien au contraire.
Les Acteurs du Tourisme Durable militent plutôt pour redonner du sens aux vacances et permettre au plus grand nombre de partir, tout en respectant l’environnement.
Une croissance joyeuse et vertueuse qui n’exclut pas le plus grand nombre.
Sauf que tous ces sujets semblent avoir été éclipsés depuis l'élection de Donald Trump, qui a totalement décomplexé les discours climatosceptiques et les entrepreneurs dont l’unique souci n’est autre que la croissance.
"Nous ressentons cet effet Trump un peu partout. Les discours sont décomplexés et chacun vise toujours plus, sans se questionner sur les conséquences. Nous voudrions que notre pays, qui inspire tant de destinations touristiques, montre au monde qu’une autre voie de développement est possible.
Cette vision de faire rentrer plus d’argent répond à des visées électoralistes. Les caisses de l’État sont vides, nous ne savons pas où aller chercher des fonds, donc on va regarder ce qu’il est possible de faire dans le tourisme.
Ce n’est pas dans ma nature, loin de là, mais actuellement, je suis un peu inquiète, car il y a une dichotomie très importante entre l’urgence de la situation, les actes et le traitement dans les médias.
Nous sommes bloqués dans le triangle de l’inaction : ce n’est pas à moi de faire, mais à l’autre," déplore-t-elle.
Le problème du secteur reste toujours le même : l’État va décider et prendre une direction, puis les régions, les départements et les ETI vont faire différemment.
Nous devrions mettre de la cohérence dans le millefeuille des compétences partagées, en redistribuant les responsabilités," conseille la présidente de l'association.
Dans ce coup de gueule, il n’est pas question d’entrer dans une ère d’obscurantisme, où chacun reste chez soi, bien au contraire.
Les Acteurs du Tourisme Durable militent plutôt pour redonner du sens aux vacances et permettre au plus grand nombre de partir, tout en respectant l’environnement.
Une croissance joyeuse et vertueuse qui n’exclut pas le plus grand nombre.
Sauf que tous ces sujets semblent avoir été éclipsés depuis l'élection de Donald Trump, qui a totalement décomplexé les discours climatosceptiques et les entrepreneurs dont l’unique souci n’est autre que la croissance.
"Nous ressentons cet effet Trump un peu partout. Les discours sont décomplexés et chacun vise toujours plus, sans se questionner sur les conséquences. Nous voudrions que notre pays, qui inspire tant de destinations touristiques, montre au monde qu’une autre voie de développement est possible.
Cette vision de faire rentrer plus d’argent répond à des visées électoralistes. Les caisses de l’État sont vides, nous ne savons pas où aller chercher des fonds, donc on va regarder ce qu’il est possible de faire dans le tourisme.
Ce n’est pas dans ma nature, loin de là, mais actuellement, je suis un peu inquiète, car il y a une dichotomie très importante entre l’urgence de la situation, les actes et le traitement dans les médias.
Nous sommes bloqués dans le triangle de l’inaction : ce n’est pas à moi de faire, mais à l’autre," déplore-t-elle.
Le tourisme a des vertus "sur la société, la santé mentale et physique"
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Et si cet objectif des 100 milliards va vite se heurter aux contraintes climatiques, ce n’est pas la seule limite que les élus et ministres devraient garder à l’esprit.
L’Espagne, souvent citée en exemple comme un modèle de réussite de l’industrie - et au-delà, puisque la Couronne affiche un dynamisme économique rare en Europe - fait face à de nombreux soubresauts contestataires de ses citoyens.
"L’Espagne a beaucoup de visiteurs et de bonnes recettes, sauf que son modèle n’est pas vertueux. Après, ils sont sans doute un exemple à suivre pour certains, puisqu’ils arrivent à faire venir plus de monde dans moins de place.
Dans ce contexte, c’est aussi le tourisme durable qui n’est plus à la mode. Nous entendons davantage parler d’intelligence artificielle que de développement durable," peste Caroline Mignon.
Un peu comme les États-Unis, qui tentent de conserver leur leadership mondial face à la Chine, la France a tendance à regarder avec crainte la montée en puissance de la péninsule ibérique.
Alors, face à l'organisation de ce prochain colloque, les Acteurs du Tourisme Durable (ATD) appellent à la tenue d’un véritable débat national, sous n’importe quelle forme, pour imaginer le tourisme d’aujourd’hui et de demain.
"Nous ne râlons pas seulement dans notre coin. Je l’ai déjà dit à Madame Delattre (la ministre du tourisme, ndlr) : nous sommes disponibles pour travailler avec elle et avec tout le monde. Nous sommes disposés à participer à l’élaboration d’une stratégie nationale qui aille vers du mieux et non du plus, et qui tienne compte de l’ensemble des problématiques sociales et environnementales.
Nous devons sortir d’une logique électoraliste et d’une vision à trois ou quatre ans.
On nous range souvent dans la case des écologistes décroissants, mais nous sommes tous des chefs d’entreprise. Nous devons dépasser les logiques économiques en prenant en compte l’empreinte, les externalités et les effets sur les territoires, tout en nous alignant sur la stratégie bas carbone. Sinon, nous ne serons jamais crédibles," souhaite la présidente de l'association.
Ainsi le tourisme pourrait aussi - plutôt que d’être vu depuis Bercy uniquement comme une vache à lait - être perçu comme un levier pour faire nation et contribuer à l’apprentissage de la vie en société, à une période où de nombreux citoyens s’enferment dans une vie digitale solitaire.
D'autant plus que tout le pan social semble laissé en friche, au profit d’une fuite en avant vers la montée en gamme, afin de satisfaire les ambitions des décideurs en quête d’une hausse, même minime, du panier moyen.
"Que l'on parte en vacances, en colonie ou en classe verte, le départ a un apport important dans la construction de l’être, mais aussi dans les effets de cette parenthèse sur les familles.
Partir de chez soi, c’est aussi éveiller la curiosité, la tolérance et le rapport à l’autre. Cela a des vertus qui dépassent l’activité touristique elle-même : sur la société, la santé mentale et physique," conclut la présidente d'ATD.
L’Espagne, souvent citée en exemple comme un modèle de réussite de l’industrie - et au-delà, puisque la Couronne affiche un dynamisme économique rare en Europe - fait face à de nombreux soubresauts contestataires de ses citoyens.
"L’Espagne a beaucoup de visiteurs et de bonnes recettes, sauf que son modèle n’est pas vertueux. Après, ils sont sans doute un exemple à suivre pour certains, puisqu’ils arrivent à faire venir plus de monde dans moins de place.
Dans ce contexte, c’est aussi le tourisme durable qui n’est plus à la mode. Nous entendons davantage parler d’intelligence artificielle que de développement durable," peste Caroline Mignon.
Un peu comme les États-Unis, qui tentent de conserver leur leadership mondial face à la Chine, la France a tendance à regarder avec crainte la montée en puissance de la péninsule ibérique.
Alors, face à l'organisation de ce prochain colloque, les Acteurs du Tourisme Durable (ATD) appellent à la tenue d’un véritable débat national, sous n’importe quelle forme, pour imaginer le tourisme d’aujourd’hui et de demain.
"Nous ne râlons pas seulement dans notre coin. Je l’ai déjà dit à Madame Delattre (la ministre du tourisme, ndlr) : nous sommes disponibles pour travailler avec elle et avec tout le monde. Nous sommes disposés à participer à l’élaboration d’une stratégie nationale qui aille vers du mieux et non du plus, et qui tienne compte de l’ensemble des problématiques sociales et environnementales.
Nous devons sortir d’une logique électoraliste et d’une vision à trois ou quatre ans.
On nous range souvent dans la case des écologistes décroissants, mais nous sommes tous des chefs d’entreprise. Nous devons dépasser les logiques économiques en prenant en compte l’empreinte, les externalités et les effets sur les territoires, tout en nous alignant sur la stratégie bas carbone. Sinon, nous ne serons jamais crédibles," souhaite la présidente de l'association.
Ainsi le tourisme pourrait aussi - plutôt que d’être vu depuis Bercy uniquement comme une vache à lait - être perçu comme un levier pour faire nation et contribuer à l’apprentissage de la vie en société, à une période où de nombreux citoyens s’enferment dans une vie digitale solitaire.
D'autant plus que tout le pan social semble laissé en friche, au profit d’une fuite en avant vers la montée en gamme, afin de satisfaire les ambitions des décideurs en quête d’une hausse, même minime, du panier moyen.
"Que l'on parte en vacances, en colonie ou en classe verte, le départ a un apport important dans la construction de l’être, mais aussi dans les effets de cette parenthèse sur les familles.
Partir de chez soi, c’est aussi éveiller la curiosité, la tolérance et le rapport à l’autre. Cela a des vertus qui dépassent l’activité touristique elle-même : sur la société, la santé mentale et physique," conclut la présidente d'ATD.