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Pour une révolution des politiques RH du tourisme en France

Chronique de Brice Duthion, Manager filière tourisme, Campus Sud des Métiers, CCI Nice Côte d’Azur


Comment faire évoluer les politiques RH (Ressources humaines) au sein des entreprises pour répondre au besoin d'emploi et de formation ? Brice Duthion, Manager filière tourisme au Campus Sud des Métiers, CCI Nice Côte d’Azur parle de révolution à mener à l’échelle de chaque territoire et chaque destination qui implique une politique radicalement différente de la part de l’Etat, une responsabilité nouvelle des entreprises et un management plus axé sur l’humain.


Rédigé par le Dimanche 12 Septembre 2021

La situation RH du tourisme en France connait un moment de rupture, notamment pour les métiers de l’hôtellerie et de la restauration. - DR
La situation RH du tourisme en France connait un moment de rupture, notamment pour les métiers de l’hôtellerie et de la restauration. - DR
Il y a près de quinze ans, quelques années après avoir créé une filière tourisme dans un grand établissement parisien, je participais avec d’autres membres fondateurs à une réflexion collective pour lancer les bases d’un « pôle de compétitivité » autour des métiers du tourisme.

C’était l’époque de Dominique de Villepin à Matignon, qui initia en 2004 la politique des pôles « pour mobiliser les facteurs clefs de la compétitivité, au premier rang desquels figure la capacité d’innovation, et pour développer la croissance et l’emploi sur les marchés porteurs ».

Il en existait alors plus de soixante-dix sur l’ensemble du territoire national, spécialisés dans de nombreux domaines industriels et techniques. Pas un ne s’intéressait au tourisme, dont on peinait à reconnaitre, à l’époque, qu’il constituait une secteur clé pour l’économie française. L’Est de l’Europe venait de rejoindre l’Union européenne et s’ouvrait au tourisme, les Chinois commençaient à voyager.

Le tourisme était souvent considéré comme une rente de situation
. Pour laquelle nous n’avions rien à faire, les fruits finissaient toujours par arriver.

La réalité semblait pourtant tout autre. La création de l’Institut Français du Tourisme dont j’ai accompagné le développement jusqu’en 2012, fut l’occasion de longuement rencontrer les principaux acteurs du tourisme français de l’époque, de mener des enquêtes et publier quelques analyses sur les emplois, les compétences professionnelles, les formations ainsi que l’état de la recherche en la matière.

J’ai eu la chance de travailler avec l’historien et économiste Jacques Marseille, qui se prit de passion pour le sujet du tourisme. Nous évoquions dès 2009 des formations globalement inadaptées à l’évolution des métiers, notamment au niveau de l’enseignement supérieur. Quelques chiffres firent grincer des dents au niveau de l’insertion professionnelle des diplômés des quelques 80 masters qui existaient alors.

Ou de la prospective des métiers qui consistait à penser, par un pur exercice de rhétorique, qu’un doublement par décennie de la fréquentation touristique internationale dans le monde nécessitait que la France s’adaptât rapidement aux nouvelles exigences et réalités des marchés et entreprises qui prenaient le virage de la mondialisation et du numérique.

Du mythe du laquais au rite du valet…

La question des ressources humaines constituait le socle de nos actions. Mais de nombreux conservatismes eurent raison de notre projet qui finit par ressembler à une coquille vide.

Le monde académique et celui des entreprises semblaient alors rétifs à une refonte du système de formation par certains côtés très artisanal et à une réflexion de fond sur les partenariats qu’exigeait l’évolution du secteur.

C’est à peu près à cette époque qu’une publication raisonna fort dans mon esprit. Elle était rédigée par un jeune chercheur de l’école des Mines, Julien Barnu, qui portait sur « le mythe du laquais » .

Dans cet article, l’auteur réfléchissait à la différence ou « clivage » dans la culture française entre le « noble » et le « vil » qui, appliqué au tourisme, faisait apparaitre comme « honteuses la marchandisation de leur culture et les relations de service qui y sont associées ».

Barnu ajoutait même que « les métiers du tourisme » étaient encore « associés à la notion de servilité » et proposait de « créer une conscience touristique pour changer l’image de ce secteur à l’échelle nationale » et quelques actions inspirées de la « téléréalité gastronomique ».

Il plaidait pour un « changement financier » mais aussi un « changement psychologique », ce dernier devant passer par la modification de la perception que les Français avaient, alors, des métiers correspondants.

Près d’une décennie plus tard, le constat n’a malheureusement guère évolué, malgré quelques initiatives lancées durant les dernières années, à la suite de l’action de Laurent Fabius au Quai d’Orsay, la création du Comité interministériel du tourisme (CIT) ou de la Conférence des formations d’excellence en tourisme (CFET).

Ces initiatives ont été lancées pour rapprocher les entreprises (employeurs) et formations (formateurs de main d’œuvre), pour valoriser les formations à l’international, pour créer des plateformes de recrutement. Quels sont les résultats concrets de ces actions, après plusieurs années d’existence ? Un esprit optimiste pourrait dire qu’elles sont toujours en construction.

Les raisons peuvent être multiples et trouver leurs origines dans un maelström politico-administratif. Mais je crois que chaque acteur n’a jamais vraiment joué son rôle. Les collectivités poussant pour ouvrir des formations parfois à n’importe quel prix pour apparaître ici comme une région connectée et ouverte sur le monde et là comme une ville étudiante et dynamique, les établissements de formation créant des programmes à tour de bras sans se soucier de l’insertion réelle de leurs élèves, les entreprises prenant parfois les élèves en formation pour des larbins et s’en débarrassant une fois la formation achevée (l’antithèse en quelque sorte de la philosophie de l’alternance). Du mythe du laquais au rite du valet, il n’y a finalement qu’un pas…

La crise du coronavirus : entre bombe sociale à retardement et début d’une nouvelle ère…

Et survint la crise du coronavirus. Et cette fameuse année 2020 qui accéléra de nouvelles mutations. Le monde d’après que certains imaginèrent bellement lors du confinement du printemps 2020, a changé de costume et ne ressemble pas forcément à celui esquissé dans de longues sessions de cogitations.

Mais il est certain que des bases qui longtemps semblaient intangibles ont structurellement changé. Les aspirations ont évolué. On pourrait évoquer notamment l’acte de donner un sens au voyage. Ou la nécessaire volonté de mieux consommer, plus localement et en accord avec des valeurs de justice environnementale.

Le marché de l’emploi n’échappe pas à cette nouvelle règle. Les générations de salariés d’aujourd’hui ou de futurs salariés ne ressemblent plus à celles d’hier. Ce qui était admis communément ne l’est plus aujourd’hui. Cela vaut pour de nombreux métiers liés aux services. L’été 2021 a mis une lumière crue sur les difficultés de recrutement des entreprises du tourisme.

Combien de restaurant n’ont pas ouvert ou ont dû fermer à cause de cette crise de main d’œuvre ? Combien de femmes de chambres a-t-il manqué dans les hôtels cet été ? Combien de démissions envoyées par SMS dans la nuit et de solutions RH bancales, mobilisant l’ensemble du personnel, dans une sorte de ballet désespéré pour assurer le minimum de services au client ?

La liste pourrait être longue de carences observées, malgré une activité record dans de nombreux établissements avec des fréquentations historiques dans des hôtels des littoraux ? Il ne faudra pas se tromper de grille de lecture, à la fin de l’année, lorsque les bilans financiers insisteront sur les « performances » des établissements alors qu’elles auront été réalisées dans des conditions RH plus que contraintes.

Dans le cadre d’une tournée récente d’établissements importants de la Côte d’Azur, et d’entretiens avec des managers opérationnels hôtellerie, de nombreux dysfonctionnements et situations devenues presque « normales » cet été m’ont été rapportées.

Certains professionnels ont trouvé la parade en faisant appel à des élèves d’écoles hôtelières des Hauts-de France ou recrutant des saisonniers dans les pays d’Europe de l’Est, faute de candidats dans un territoire revendiqué comme l’une des principales destinations touristiques du pays et où, pourtant, le chômage est toujours élevé.

La situation RH du tourisme en France connait un moment de rupture
, notamment pour les métiers de l’hôtellerie et de la restauration. On identifie comme anachroniques les coupures qui étirent les journées de travail sur un temps que les salariés - notamment les plus jeunes - n’acceptent plus aujourd’hui, le nécessaire équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ou les revendications salariales qui légitiment le refus d’accepter des emplois à faible rémunération. Nous vivons une véritable rupture des temps sociaux, qui influencent grandement la vie au travail.

Le candidat Macron publiait à l’automne 2016 un ouvrage intitulé « Révolution ». C’est bien de révolution, et pas uniquement copernicienne, dont il s’agit aujourd’hui. Et dont il s’agira dans chacune des chroniques « Celles et ceux qui font le tourisme – emplois, compétences, formations » à venir.

Une révolution à l’échelle de chaque territoire et chaque destination qui implique une politique radicalement différente de la part de l’Etat, une responsabilité nouvelle des entreprises et un management plus axé sur l’humain, des engagements différents des salariés ou un format inédit de formations.

L'auteur de cette chronique

Brice Duthion - DR
Brice Duthion - DR
Brice Duthion est manager du projet Campus sud des métiers tourisme de la CCI Nice Côte d'Azur. Il est également consultant et expert indépendant en tourisme, culture et développement territorial. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés, est expert auprès de l'Open Tourisme Lab, du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque et fait partie de l'équipe des blogueurs du site etourisme.info.

Il a été auparavant maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Le Cnam), enseignant et tuteur à l'Ecole Urbaine de Sciences Po Paris, vice-président de la Conférence des formations d’excellence en tourisme (CFET) et membre fondateur de l'Institut Français du Tourisme (IFT).

Brice Duthion est l'auteur de nombreux ouvrages et articles spécialisés en tourisme. Il a assuré la direction de la collection "tourisme" aux éditions de Boeck supérieur. Il est, enfin, l'auteur de plusieurs MOOC mis en ligne sur France Université Numérique (FUN).

brice.duthion@cote-azur.cci.fr

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