
Le professeur Emmanuel Combe lors de son intervention au congrès de la FNAM le 2 juillet dernier. Photo : C.Hardin
« Ils tournent en boucle » m’avait soufflé avec, peut-être, une pointe d’agacement il y a quelques mois une observatrice après un énième communiqué du secteur aérien dénonçant le poids des taxes et cette image de pollueur invétéré qui lui colle à la peau.
Au congrès de la FNAM ce 2 juillet dernier, et comme il fallait s’y attendre, ces « malédictions » étaient encore à l’ordre du jour… Mais cette fois-ci et sur cette réalité d’une image très décalée par rapport aux faits, un professeur d’université, Emmanuel Combe est venu délivrer un diagnostic s’appuyant principalement sur des travaux académiques, en économie, en psychologie, mais également sur des enquêtes et sondages qui viennent éclairer les comportements réels.
Une approche pédagogique dont on peut regretter qu’elle soit restée entre les murs de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), où se tenait le congrès, avec ses auditeurs déjà acquis à la cause.
Au congrès de la FNAM ce 2 juillet dernier, et comme il fallait s’y attendre, ces « malédictions » étaient encore à l’ordre du jour… Mais cette fois-ci et sur cette réalité d’une image très décalée par rapport aux faits, un professeur d’université, Emmanuel Combe est venu délivrer un diagnostic s’appuyant principalement sur des travaux académiques, en économie, en psychologie, mais également sur des enquêtes et sondages qui viennent éclairer les comportements réels.
Une approche pédagogique dont on peut regretter qu’elle soit restée entre les murs de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), où se tenait le congrès, avec ses auditeurs déjà acquis à la cause.
Transport aérien : l'empreinte carbone surestimée par les Français

Sur la question de l'empreinte carbone, un sondage IFOP montre que 60% des Français surestiment l'impact de l'aérien en termes d'émissions (évaluée à 3%) alors qu’une autre étude de la Chaire Pégase indique que plus de 90% des personnes interrogées en France évaluent la part de l'aérien dans les émissions de CO2 à plus de 10%, et beaucoup plus polluant, par exemple, que l'industrie textile qui elle émet entre 8 et 10% des émissions mondiales de CO2, c'est-à-dire trois fois plus que l'aérien.
A lire aussi : Fiscalité aérienne : la CPME entre dans la bataille
Des efforts de l’industrie mal perçus
Sur les efforts, réalisés par le transport aérien pour réduire son empreinte carbone, là aussi nous dit Emmanuel Combe : « très peu de Français ont entendu parler des carburants durables et ignorent que l'un des leviers essentiels de décarbonation, à court terme, passe par le renouvellement des flottes avec des appareils et des moteurs, bien plus économiques qu'avant. »
En fait, explique l'économiste, « cette faible connaissance peut s'expliquer par un biais psychologique. Ces innovations technologiques, je pense tout particulièrement aux moteurs, ne sont pas véritablement visibles par le passager. Elles échappent donc à leur expérience directe.
Ils ne les voient pas, donc elles n'existent pas. Il s'agit d'un biais psychologique qu'on appelle le fameux biais de disponibilité. Nous surestimons toujours ce que nous voyons, et nous sous-estimons ce que nous ne voyons pas. »
i[« On ne sera donc pas surpris au vu de cette double méconnaissance, méconnaissance du niveau des émissions, méconnaissance du rôle des évolutions technologiques, que les Français, finalement, surestiment largement la responsabilité de l'aérien sur la question du changement climatique.
Il ne s'agit pas de la nier, simplement elle est largement surestimée. »
En fait, explique l'économiste, « cette faible connaissance peut s'expliquer par un biais psychologique. Ces innovations technologiques, je pense tout particulièrement aux moteurs, ne sont pas véritablement visibles par le passager. Elles échappent donc à leur expérience directe.
Ils ne les voient pas, donc elles n'existent pas. Il s'agit d'un biais psychologique qu'on appelle le fameux biais de disponibilité. Nous surestimons toujours ce que nous voyons, et nous sous-estimons ce que nous ne voyons pas. »
i[« On ne sera donc pas surpris au vu de cette double méconnaissance, méconnaissance du niveau des émissions, méconnaissance du rôle des évolutions technologiques, que les Français, finalement, surestiment largement la responsabilité de l'aérien sur la question du changement climatique.
Il ne s'agit pas de la nier, simplement elle est largement surestimée. »
Des profits fantasmés
Autre biais observé, le transport aérien est perçu comme un business extrêmement rentable alors que le secteur a des marges assez faibles (en moyenne 3,7%) et très éloignées de celles du secteur du luxe.
Des marges très faibles au vu de l'intensité concurrentielle extrêmement forte qui n’étonne pas l’économiste.
Comment expliquer alors ce décalage entre la réalité des marges des compagnies et la perception du monde ? Emmanuel Combe tente une explication : « Il semble qu'il résulte d'une confusion assez classique en psychologie, dans l'esprit du consommateur, entre le prix et la marge. Oui, le prix d'un billet d'avion représente un poste relativement élevé dans le budget d'un ménage surtout s'il s'agit d'une famille. Ce qui peut alimenter l'idée : si c'est cher, c'est qu'en réalité, les compagnies se font des marges élevées. »
Dépense importante pour le client ne signifie pas, bien entendu économiquement, marge élevée pour les compagnies aériennes.
Des marges très faibles au vu de l'intensité concurrentielle extrêmement forte qui n’étonne pas l’économiste.
Comment expliquer alors ce décalage entre la réalité des marges des compagnies et la perception du monde ? Emmanuel Combe tente une explication : « Il semble qu'il résulte d'une confusion assez classique en psychologie, dans l'esprit du consommateur, entre le prix et la marge. Oui, le prix d'un billet d'avion représente un poste relativement élevé dans le budget d'un ménage surtout s'il s'agit d'une famille. Ce qui peut alimenter l'idée : si c'est cher, c'est qu'en réalité, les compagnies se font des marges élevées. »
Dépense importante pour le client ne signifie pas, bien entendu économiquement, marge élevée pour les compagnies aériennes.
Un transport aérien largement démocratisé
Autre exemple de biais, le transport aérien qui reste perçu, paradoxalement, comme un moyen de transport réservé à une élite alors que les données factuelles du sondage IFOP 2025 montrent bien qu’il s'est largement démocratisé.

Aujourd'hui que ce sont les employés qui sont la catégorie socio professionnelle la plus représentée avec 43% des passagers.Photo : C.Hardin.
Depuis maintenant 30 ans, les low cost et l'ouverture à la concurrence internationale sont passées par là et le sondage IFOP montre qu'aujourd'hui ce sont les employés qui sont la catégorie socio professionnelle la plus représentée avec 43% des passagers.
On pourrait même dire qu’elle est surreprésentée si on regarde les statistiques INSEE, ou la catégorie « professions intermédiaires » représente 26% de la population active.
« Cette représentation élitiste d'un transport aérien pour les riches, les privilégiés, ne colle plus vraiment à la réalité du terrain » affirme Emmanuel Combe.
On pourrait même dire qu’elle est surreprésentée si on regarde les statistiques INSEE, ou la catégorie « professions intermédiaires » représente 26% de la population active.
« Cette représentation élitiste d'un transport aérien pour les riches, les privilégiés, ne colle plus vraiment à la réalité du terrain » affirme Emmanuel Combe.
Désintérêt des politiques pour le secteur
Comment, une fois encore, expliquer une telle méconnaissance, ou en tout cas un tel défaut d'information, de tel biais, dans les mesures quantitatives objectives concernant l'aérien chez les Français ?
« À ces explications particulières qui relèvent de la psychologie, il y a peut-être une explication plus globale, plus institutionnelle » avance Emmanuel Combe. Depuis 20 ans qu’il travaille sur ce secteur dont cinq ans en cabinet ministériel, il fait le constat que le transport aérien en France intéresse relativement peu les décideurs politiques.
« À quelques exceptions, majoritairement, ça n'est pas un sujet de préoccupation. Il y a une culture plutôt en faveur du ferroviaire, voire du transport routier. Dès lors, les décideurs politiques ne sont pas majoritairement un levier, un soutien, un contrepoids suffisants qui permettrait de corriger des représentations biaisées. Je peux même aller plus loin, une majorité des décideurs politiques préfèrent souvent s'en remettre à l'opinion dominante et se faisant la conforter. »
Du coup, les seuls à s'exprimer vraiment, ce sont les acteurs du transport aérien, et cette absence de soutien externe alimente un discours favorable à la taxation. « Il est toujours difficile en communication d'être écouté lorsque l'on est son propre porte-parole. »
« Puisque les Français pensent que les compagnies aériennes sont très rentables, puisqu'ils pensent majoritairement qu'elles sont au service d'une élite, il est donc assez légitime, d'un point de vue social, de les taxer. On en arrive presque à une forme de causalité inverse. Si les compagnies aériennes se laissent taxer, c'est bien la preuve qu'elles sont rentables. » Une sorte de cercle vicieux dont il est assez difficile de sortir, explique Emmanuel Combe.
« À ces explications particulières qui relèvent de la psychologie, il y a peut-être une explication plus globale, plus institutionnelle » avance Emmanuel Combe. Depuis 20 ans qu’il travaille sur ce secteur dont cinq ans en cabinet ministériel, il fait le constat que le transport aérien en France intéresse relativement peu les décideurs politiques.
« À quelques exceptions, majoritairement, ça n'est pas un sujet de préoccupation. Il y a une culture plutôt en faveur du ferroviaire, voire du transport routier. Dès lors, les décideurs politiques ne sont pas majoritairement un levier, un soutien, un contrepoids suffisants qui permettrait de corriger des représentations biaisées. Je peux même aller plus loin, une majorité des décideurs politiques préfèrent souvent s'en remettre à l'opinion dominante et se faisant la conforter. »
Du coup, les seuls à s'exprimer vraiment, ce sont les acteurs du transport aérien, et cette absence de soutien externe alimente un discours favorable à la taxation. « Il est toujours difficile en communication d'être écouté lorsque l'on est son propre porte-parole. »
« Puisque les Français pensent que les compagnies aériennes sont très rentables, puisqu'ils pensent majoritairement qu'elles sont au service d'une élite, il est donc assez légitime, d'un point de vue social, de les taxer. On en arrive presque à une forme de causalité inverse. Si les compagnies aériennes se laissent taxer, c'est bien la preuve qu'elles sont rentables. » Une sorte de cercle vicieux dont il est assez difficile de sortir, explique Emmanuel Combe.
Des recommandations pour une meilleure communication
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Malgré cette image biaisée, les Français ne rejettent pas le transport aérien. Cependant celui-ci se doit d’améliorer sa communication et Emmanuel Combe a donné des recommandations.
En tout premier lieu, agir et raisonner de manière transversale, de manière systémique et non pas de manière verticale.
« Il n'y a pas les compagnies aériennes, il n'y a pas les aéroports, il n'y a pas les constructeurs, il y a un écosystème. Il pèse très lourd, notamment dans la balance commerciale française. Un écosystème qui doit donc parler d’une seule voix, notamment en rappelant tout simplement la vérité des chiffres.
Pour se faire mieux entendre des décideurs politiques, il pourrait être judicieux de mettre plus en avant la question centrale des Français, qui est toujours la même, celle du prix. Par exemple, lorsque le gouvernement a décidé en 2021, dans le cadre de la loi climat de résilience, d'interdire certains vols intérieurs pour lesquels il existe une alternative en TGV, il aurait été, à mon sens, judicieux d'expliquer que cette décision aura nécessairement un impact négatif sur le prix du billet de train.
Lorsque vous supprimez, et c'est le spécialiste de concurrence qui vous parle, le premier concurrent du train sur Paris - Bordeaux, vous réduisez nécessairement la concurrence sur le marché, ce qui fait monter le prix des billets de TGV. »
Rappeler également dans les débats publics que la fameuse TSBA sera intégralement reportée dans le prix du billet.
« Pour vous et moi, c'est évident, mais cela ne l’est pas forcément pour tous les Français dans la mesure où le récent sondage IFOP montre que 42% des Français sont favorables à une augmentation des taxes sur les billets d'avion. Il est possible qu'une partie d'entre eux pense qu'elle ne sera pas répercutée dans le prix de leurs billets, mais qu'elle sera absorbée par les marges considérées comme énormes des compagnies. »
Mettre également en balance, toujours dans les débats publics, d’un côté l'empreinte carbone du transport aérien qui pollue à hauteur de 2,5 -3%, avec sa contribution économique sur le sol français.
« Toute politique publique de restriction du transport aérien doit intégrer une évaluation coûts-bénéfices, c’est-à-dire mettre en balance les émissions évitées, mais aussi les pertes d'activité, d'emplois, de connectivité. »
Enfin, et concernant la question environnementale, Emmanuel Combe a mis en garde les compagnies.
« D’accord pour communiquer sur les efforts environnementaux des compagnies, que ce soit au travers du renouvellement de la flotte ou des carburants durables, mais la ligne de crête est très difficile à tenir. Attention au risque de greenwashing ».
Il a effectivement été reproché aux compagnies aériennes, des allégations environnementales trompeuses, notamment sur le terme de neutralité carbone.
« L’intérêt collectif du secteur est de promouvoir une ligne de conduite assez stricte en la matière. Une communication sincère, scientifiquement étayée, est le meilleur moyen pour instaurer la confiance chez les passagers et les accompagner vers la nécessaire transition verte », a conclu le professeur.
Emmanuel Combe est un économiste plutôt libéral qui s’exprime souvent dans des journaux tel que « Les Échos » ou « l’Opinion ».
S’intéressant particulièrement au transport aérien, certains ne verront en lui qu’un lobbyiste à la solde du secteur. C’est un peu court. Le travail de ce professeur d’université, sa connaissance de l’économie comportementale et de la psychologie, ses références qui prennent appui sur des travaux académiques, des enquêtes et des sondages, nourrissent utilement le débat sur la place du secteur aérien en France.
En tout premier lieu, agir et raisonner de manière transversale, de manière systémique et non pas de manière verticale.
« Il n'y a pas les compagnies aériennes, il n'y a pas les aéroports, il n'y a pas les constructeurs, il y a un écosystème. Il pèse très lourd, notamment dans la balance commerciale française. Un écosystème qui doit donc parler d’une seule voix, notamment en rappelant tout simplement la vérité des chiffres.
Pour se faire mieux entendre des décideurs politiques, il pourrait être judicieux de mettre plus en avant la question centrale des Français, qui est toujours la même, celle du prix. Par exemple, lorsque le gouvernement a décidé en 2021, dans le cadre de la loi climat de résilience, d'interdire certains vols intérieurs pour lesquels il existe une alternative en TGV, il aurait été, à mon sens, judicieux d'expliquer que cette décision aura nécessairement un impact négatif sur le prix du billet de train.
Lorsque vous supprimez, et c'est le spécialiste de concurrence qui vous parle, le premier concurrent du train sur Paris - Bordeaux, vous réduisez nécessairement la concurrence sur le marché, ce qui fait monter le prix des billets de TGV. »
Rappeler également dans les débats publics que la fameuse TSBA sera intégralement reportée dans le prix du billet.
« Pour vous et moi, c'est évident, mais cela ne l’est pas forcément pour tous les Français dans la mesure où le récent sondage IFOP montre que 42% des Français sont favorables à une augmentation des taxes sur les billets d'avion. Il est possible qu'une partie d'entre eux pense qu'elle ne sera pas répercutée dans le prix de leurs billets, mais qu'elle sera absorbée par les marges considérées comme énormes des compagnies. »
Mettre également en balance, toujours dans les débats publics, d’un côté l'empreinte carbone du transport aérien qui pollue à hauteur de 2,5 -3%, avec sa contribution économique sur le sol français.
« Toute politique publique de restriction du transport aérien doit intégrer une évaluation coûts-bénéfices, c’est-à-dire mettre en balance les émissions évitées, mais aussi les pertes d'activité, d'emplois, de connectivité. »
Enfin, et concernant la question environnementale, Emmanuel Combe a mis en garde les compagnies.
« D’accord pour communiquer sur les efforts environnementaux des compagnies, que ce soit au travers du renouvellement de la flotte ou des carburants durables, mais la ligne de crête est très difficile à tenir. Attention au risque de greenwashing ».
Il a effectivement été reproché aux compagnies aériennes, des allégations environnementales trompeuses, notamment sur le terme de neutralité carbone.
« L’intérêt collectif du secteur est de promouvoir une ligne de conduite assez stricte en la matière. Une communication sincère, scientifiquement étayée, est le meilleur moyen pour instaurer la confiance chez les passagers et les accompagner vers la nécessaire transition verte », a conclu le professeur.
Emmanuel Combe est un économiste plutôt libéral qui s’exprime souvent dans des journaux tel que « Les Échos » ou « l’Opinion ».
S’intéressant particulièrement au transport aérien, certains ne verront en lui qu’un lobbyiste à la solde du secteur. C’est un peu court. Le travail de ce professeur d’université, sa connaissance de l’économie comportementale et de la psychologie, ses références qui prennent appui sur des travaux académiques, des enquêtes et des sondages, nourrissent utilement le débat sur la place du secteur aérien en France.

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