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Climat : pourquoi l'aĂ©rien devra faire davantage et mieux que les autres 🔑

Interview d'Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports


Le 3 juillet dernier a Ă©tĂ© la journĂ©e la plus chaude jamais enregistrĂ©e sur notre chĂšre planĂšte. Le rĂ©chauffement climatique est une rĂ©alitĂ© Ă  laquelle les populations sont prĂȘtes Ă  s'attaquer seulement si tout le monde, riches comme pauvres,fait des efforts. L'aĂ©rien n'aura d'autres choix que d'ĂȘtre exemplaire, c'est en tout cas ce que pense AurĂ©lien Bigo, chercheur sur la transition Ă©nergĂ©tique des transports.


Rédigé par le Vendredi 7 Juillet 2023

"1% des mĂ©nages les plus aisĂ©s ont une empreinte carbone seulement liĂ©e au transport aĂ©rien de 22 tonnes d’équivalent CO2 par an et par personne. C’est 3 fois plus important que l’empreinte carbone moyenne, d’un EuropĂ©en," selon AurĂ©lien Bigo - Depositphotos @tbtb
"1% des mĂ©nages les plus aisĂ©s ont une empreinte carbone seulement liĂ©e au transport aĂ©rien de 22 tonnes d’équivalent CO2 par an et par personne. C’est 3 fois plus important que l’empreinte carbone moyenne, d’un EuropĂ©en," selon AurĂ©lien Bigo - Depositphotos @tbtb
TourMaG : Vous avez rĂ©digĂ© une thĂšse, sur la façon dont le secteur des transports peut atteindre la neutralitĂ© carbone d’ici 2050. Vous l’avez Ă©crite en 2019. Quels sont les freins vers la neutralitĂ© ?

Aurélien Bigo :
La transition est assez focalisée, que ce soit pour les transports et le tourisme, sur la technologie.

Elle l’est assez peu sur les leviers de sobriĂ©tĂ©, aussi bien dans les pratiques, les modes de vie ou d’imaginaires de mobilitĂ©. Nous pourrions imaginer un tourisme plus respectueux d’un point de vue environnemental et climatique.

Les pratiques sont toujours trÚs impactantes, les visions de la transition ne remettent pas vraiment en cause nos pratiques : à savoir que demain, sans rien changer et juste grùce à des technologies plus vertes, tout sera réglé.

La rĂ©alitĂ© c'est que les solutions ne sont pas toujours prĂȘtes Ă  temps et pas nĂ©cessairement neutres en carbone.
Bien qu’il y ait des progrĂšs d’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique dans l’aĂ©rien, la croissance du trafic surpasse ces gains Ă©nergĂ©tiques et les Ă©missions augmentent.

Sauf que les émissions des prochaines années dépendront essentiellement du volume du trafic. Les innovations compensent de maniÚre marginale l'augmentation du nombre de vols dans le monde.

Sur les biocarburants, la technologie la plus disponible Ă  court terme, prĂ©voit un objectif d’incorporation de 5% Ă  horizon 2030. C’est trĂšs faible. Les carburants de synthĂšse n’en sont qu’à leur balbutiement.

Pour l’hydrogĂšne ce sera, au mieux, un appareil en 2035. Et seulement en moyen-courrier. De plus, vous ajoutez une concurrence d’usage de ces ressources avec d’autres secteurs et modes de transport pour se dĂ©carboner.


"L’aĂ©rien est une façon de se dĂ©placer essentiellement pour le loisir"

TourMaG : Je vais me faire l’avocat du diable. L’aĂ©rien est trĂšs critiquĂ©, alors que 60% des trajets touristiques se font en voiture. Pourquoi viser uniquement ce mode de transport ?

Aurélien Bigo :
Tous les secteurs doivent faire des efforts. En ordre de grandeur la voiture est 3 fois plus Ă©mettrice que l’aĂ©rien.

AprĂšs si nous considĂ©rons que l’aĂ©rien a d’autres effets rĂ©chauffants, allant de 3 Ă  4 fois plus selon les estimations, alors ce mode se rapproche de celui de la voiture, mais pour un faible nombre d’utilisateurs.

A lire : Avion sobre : voici venu le temps du Macron ultra vert !

La grande diffĂ©rence entre les deux c'est que l’aĂ©rien est une façon de se dĂ©placer essentiellement pour le loisir, pour des raisons de vacances.

En plus d’ĂȘtre des trajets non contraints, ce type de transport est l'apanage des populations les plus aisĂ©es, alors que la voiture a un usage bien plus rĂ©pandu et structurant dans la sociĂ©tĂ©.

L’aĂ©rien reprĂ©sente beaucoup d’émissions, pour des usages se concentrant sur une trĂšs faible part de la population. Voici ce qui explique les critiques pesant sur l’aĂ©rien.

C’est un peu la mĂȘme chose lorsque nous faisons la comparaison entre l’avion et le numĂ©rique, sauf que ce deuxiĂšme a un usage bien plus important, frĂ©quent et indispensable Ă  nos modes de vie actuels.

"En termes de justice sociale, le transport aĂ©rien devra faire sa part d’effort"

TourMaG : Dans votre thĂšse vous avancez le fait que les perspectives technologiques sont insuffisantes et que la dĂ©croissance du trafic doit ĂȘtre envisagĂ©e. Pour vous la technologie n’est pas l'unique solution ?

Aurélien Bigo :
Cela dépend du type de trajectoire que nous souhaitons.

Si nous voulons limiter le rĂ©chauffement climatique, dans les clous des Accords de Paris, atteindre le point d’arrivĂ©e seulement en 2050 ne suffira pas.

Les baisses pour rester sous les +2 degrĂ©s, voire mĂȘme 1,5 degrĂ©, sont extrĂȘmement fortes. Pour atteindre le 1er cap, au niveau mondial nous devrons baisser de 4 Ă  5% les Ă©missions chaque annĂ©e.

En sachant que nous n’avons pas de solution technologique pour atteindre cet objectif, la transformation doit ĂȘtre radicale.

Et si nous regardons la façon de rĂ©partir l’effort au sein de la population, en termes de justice sociale, alors le transport aĂ©rien dont la vocation principale est le loisir, devra faire cette part d’effort.

AprĂšs, comparativement au secteur de l’alimentation, faire diminuer les Ă©missions de 4 ou 5% sera compliquĂ©, mais il sera tout de mal venu de se priver de manger pour atteindre des objectifs climatiques.

Certains secteurs et populations ont plus d’efforts Ă  faire que d'autres. Dans cette logique, le transport aĂ©rien devrait ĂȘtre visĂ© plus fortement.

En Europe, 1% des mĂ©nages les plus aisĂ©s ont une empreinte carbone liĂ©e au transport aĂ©rien de 22 tonnes d’équivalent CO2 par an et par personne. C’est 3 fois plus important que l’empreinte carbone moyenne d’un EuropĂ©en.

(Tout en sachant que pour atteindre les objectifs des Accords de Paris, nous devrions émettre pas]b plus de 2 tonnes b[équivalent CO2 par an et par habitant.)

Dans toutes les enquĂȘtes, pour savoir Ă  quelle condition les personnes sont prĂȘtes Ă  faire des efforts pour rĂ©duire l’impact environnemental, la critique de la justice sociale arrive en premier.

Alors si nous partons du postulat que les plus aisĂ©s ont plus de moyens pour s’adapter, ils devront faire davantage d’efforts.

Il n’est le seul mode de transport impactant. RĂ©duire l’aĂ©rien ne rĂ©soudra pas tout. Par contre, il faut de l’exemplaritĂ© chez les secteurs les plus Ă©metteurs, car les efforts seront plus compliquĂ©s Ă  faire accepter.

"Pas de raison que l’impact sur les Ă©missions change trĂšs radicalement"

TourMaG : A l’avenir, nous n’avons d’autre choix que d’encadrer les usages de l’aĂ©rien et des bateaux de croisiĂšres ?

Aurélien Bigo :
Nous ne devons pas négliger cet aspect.

Il y a un grand tabou de maniĂšre gĂ©nĂ©rale sur la demande de transport. Ce qui ressort de ma thĂšse, en regardant l’évolution des tendances passĂ©es des Ă©missions de CO2 des transports en France, la demande de transport drive les Ă©missions.

Le covid a fait baisser les Ă©missions, car il n’y avait quasiment plus aucune demande.

C’est un facteur prĂ©pondĂ©rant sur l’évolution des Ă©missions, sauf qu’il n’y a pas de politique publique structurĂ©e pour aller vers une modĂ©ration de la demande de transport.

Nous devons faire en sorte qu’il y ait plus de proximitĂ© dans l’amĂ©nagement du territoire, au quotidien.
Donc tout un tas de questions se pose sur les transports du quotidien, mais aussi ceux de plus longue distance, notamment sur les niveaux de trafic.

Tout comme de questionner sur la durabilitĂ© de traverser la France en voiture. Il existe 4 autres leviers pour dĂ©carboner. Par exemple la baisse des Ă©missions par kilomĂštre parcouru mĂȘme si depuis 1960, elle est trĂšs limitĂ©e.

Les progrĂšs technologiques sont gommĂ©s par un report modal qui n’est pas allĂ© dans le bon sens.

De plus, dans la baisse de l’intensitĂ© carbone de l’énergie, les agrocarburants sont loin d’ĂȘtre vertueux au niveau climatique. Et l’électrique constitue encore une fraction trĂšs faible du parc automobile.


TourMaG : Y-a-t'il a un manque de courage politique pour faire baisser les émissions ?

Aurélien Bigo :
Oui, les politiques publiques climatiques ont assez peu d’effet sur les Ă©missions.

Cela montre que par rapport à la rupture envisagée dans les prochaines années, nous allons devoir aller beaucoup plus loin dans nos prises de décision.

Ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle.

Il n’y a pas de raison que l’impact sur les Ă©missions change trĂšs radicalement. L’électrification des vĂ©hicules va changer les choses, sauf que nous ne sommes pas Ă  la hauteur sur les autres leviers. AprĂšs ce n’est pas que l’Etat, mais les rĂ©gions et les citoyens qui ont aussi leur part de responsabilitĂ©.

Sur le transport aĂ©rien par exemple, le changement viendra peut-ĂȘtre davantage de changements de pratique de la part des usagers plutĂŽt que des politiques publiques.

Le retard ne peut pas ĂȘtre seulement imputĂ© Ă  l’Etat, surtout que les politiques Ă©tatiques dĂ©pendent des individus Ă©lus par les citoyens.

"Il sera nécessaire de changer les destinations, donc le type de voyage"

TourMaG : La taxation de l’aĂ©rien est-ce LA solution pour faire inflĂ©chir la demande ? Que ce soit au sujet des jets privĂ©s ou du kĂ©rosĂšne.

Aurélien Bigo :
Il est important que cette taxation ait lieu pour le principe d’équitĂ© pour les autres carburants, ce qui dĂ©couragera l’usage des carburants les plus carbonĂ©s.

Cela fournira une incitation aux énergies alternatives. Une taxe permet aussi de financer la transition du secteur.

AprĂšs c’est un moyen parmi d’autres : sur les jets privĂ©s, il est lĂ©gitime de se demander si les millionnaires ou les milliardaires vont changer leurs pratiques en raison d’une taxe.

D’un point de vue climatique, la seule chose qui compte c'est le changement des pratiques.

Les quelques initiatives politiques pour modĂ©rer le transport aĂ©rien ont Ă©tĂ© spĂ©cifiquement calibrĂ©es pour ne pas avoir d’impact sur les trafics et donc sur les Ă©missions.

Si vous prenez par exemple l’interdiction des vols intĂ©rieurs de moins de 2h30, l’impact concret d’une telle mesure est extrĂȘmement faible.

Un article de loi visant Ă  interdire les agrandissements des aĂ©roports, stipule qu’il y ait une dĂ©claration d’utilitĂ© publique, donc cela Ă©limine les projets en cours.


TourMaG : Dans le mĂȘme temps, la proposition du patron de la SNCF de taxer l’aĂ©rien pour financer le train a Ă©tĂ© trĂšs mal reçue...

Aurélien Bigo :
Nous allons devoir changer certaines pratiques de mobilités courtes ou moyennes distances.
Il sera nĂ©cessaire de changer les destinations, donc le type de voyage Ă  l’avenir.

L’aĂ©rien est le seul mode permettant de passer 5 jours en Chine ou un week-end Ă  New York, etc. Ce genre de pratique doit changer Ă  l’avenir afin de rĂ©duire les Ă©missions.

A lire : Dans 3 ans, tout le monde voyagera en train en Europe"

Il y a eu une promotion d'autres modes de transport moins carbonĂ©s, par le passĂ©, sauf que ce ne sont pas de rĂ©elles politiques de report modal. Ceci dans le sens oĂč nous avons la promotion du ferroviaire d'un cĂŽtĂ©, puis de l'autre cĂŽtĂ© des projets d'agrandissement des aĂ©roports et de construction de nouvelles autoroutes.

Il n'y a pas de cohérence et, in fine, cela a débouché sur une hausse de la demande de transport, donc des émissions. Pour baisser les émissions, le report modal doit se faire au détriment de la voiture et l'aérien.

"Besoin de faire évoluer les imaginaires et des normes sociales"

TourMaG : En rĂ©sumĂ© en 2050, nous n'aurons plus la mĂȘme relation aux transports que celle actuelle ?

Aurélien Bigo :
Exactement. Cela fait partie des choses Ă  revoir pour ĂȘtre Ă  la hauteur des enjeux.

Pour diminuer les Ă©missions de l'ordre de 4 ou 5% afin d'ĂȘtre dans les clous d'un rĂ©chauffement de +2 degrĂ©s, ce qui est dĂ©jĂ  trĂšs important, la transition devra ĂȘtre extrĂȘmement forte, mĂȘme Ă  trĂšs court terme.

Sans mĂȘme parler de 2050, nous aurions dĂ» avoir ces tendances depuis de nombreuses annĂ©es. Le secteur des transports est globalement trĂšs en retard, par rapport Ă  d'autres secteurs.

Si nous comparons par rapport à 1990, en France, c'est le seul secteur dont les émissions sont à la hausse, l'international encore plus.

Nous allons devoir faire évoluer les imaginaires et des normes sociales, pour réussir la transition, aussi bien sur la place de l'avion et de la voiture.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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